Question-réponse 51

J’ai entendu dire que certains saints arrivent à un niveau tel qu on ne peut plus les juger avec la Chari’a car ils sont arrivés au niveau de la Haqiqa, et que celle-ci s’oppose à la chari’a.

REPONSE

Tout d’abord il faut bien noter que personne, quelle que soit sa station spirituelle, ne peut prétendre être affranchi de la Chari’a et des Loi promulguées par Allah, car si une personne aurait pu prétendre cela se serait le Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui), or il était le plus assidu et le plus parfait dans l’obéissance aux principes de la Chari’a puisqu’il en est la réalisation vivante.

Seïdina Ahmed Tidjani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) a rappelé ce principe, bien que sa Haqiqa en tant que Sceau de la Sainteté soit inégalée et inégalable pour tous Wali, en disant : « Pesez les propos qui me sont attribués à la balance de la Chari’a, ce qui est conforme prenez-le et ce qui diverge délaissez-le. » Il a dit aussi au sujet du Pôle et de sa relation entre la loi et la Haqiqa (qu’Allah sanctifie son précieux secret) : « Le Pôle rend sa loi (Chari’a) infaillible avec sa Haqiqa et cache sa Haqiqa avec sa loi. »

La Chari’a (la Loi), la Tariqa (la voie) et la Haqiqa (la Vérité) sont un tout indivisible pour pouvoir atteindre l’objectif visé, c’est à dire connaître Allah. On pourrait donner comme exemple que la Chari’a représente la graine et les racines de l’arbre, la Tariqa en est le tronc vigoureux ainsi que les branches et la Haqiqa ce sont les fruits. Or, tout est contenu dans la graine (c’est-à-dire dans la Chari’a) et il ne lui reste plus qu’à pousser. Ainsi, on ne peut pas prétendre que les fruits (la Haqiqa) n’aient pas besoin d’une graine et des racines (la Chari’a) pour exister bien au contraire, ni que l’objectif des graines n’est pas de donner des fruits.

Seulement la Chari’a traite des côtés apparents tandis que la Haqiqa est du domaine de la pure réalité provenant du caché et des effets intérieurs de cette réalité ; or il arrive alors que certains pensent que la Haqiqa semble s’opposer à la Chari’a dans certaines de ses majestueuses manifestations, mais en aucun cas cela n’est une opposition, c’est seulement une incompréhension due à un manque de perspicacité dans l’étendue des profondeurs de la Loi. C’est pour cette raison qu’il a été ordonné aux prophètes (sur eux la paix) de parler selon la compréhension des gens et c’est ce sens qu’il faut retenir, c’est-à-dire que les gens ayant atteints la Haqiqa ne peuvent être compris que par ceux qui goûtent ce qu’ils ont goûté, qui passent par là où ils sont passés et non par ceux qui ne connaissent que les domaines apparents de la Chari’a.

Cela se retrouve par exemple en mathématique où il n’est pas concevable de demander à une personne ayant tout juste des aptitudes à faire des additions, de comprendre, de commenter et d’expliquer des théorèmes ou autres casse-têtes de l’arithmétique. À l’identique dans l’Islam on ne peut pas demander aux communs des gens de comprendre, de commenter et d’expliquer le domaine de la Haqiqa. Ils ne peuvent ni en parler, ni le mesurer et encore moins le critiquer, car parler le langage des Connaissants tout en ayant l’inexpérience des gens du commun est une grave calamité, du seul fait que cette connaissance ne repose ni sur l’accumulation d’un savoir abstrait, ni sur l’étude et la réflexion, mais c’est le pur fruit d’une faveur Divine.

Le grand maître Sarradj (qu’Allah l’agrée) a dit :

« Les sciences proviennent de trois sources :

– Un verset du livre d’Allah

– Une tradition remontant au Prophète (paix et salut sur lui)

– Ou une sagesse découlant de l’un et de l’autre et survenue dans le cœur d’un des saints de Dieu»

Les propos des Connaissants ont leurs propres interprétations qui ne sont réellement saisies que par leurs pairs, alors que le commun peut être choqué par la teneur apparente de certaines paroles mal comprises et qui leur semblent être contraire à leurs niveaux de compréhension de la Chari’a, tandis que le Connaissant en tirera une compréhension profonde et une sagesse subtile en tout point conforme au sens apparent et profond de la Chari’a.

Seïdina Ahmed Tidjani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) en a également fait mention. En effet, il est rapporté dans Djawahirou-l-Ma’ani qu’on interrogea Seïdina Ahmed Tidjani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) sur le sens de la parole de Cheikh el Akbar (Ibn ‘Arabi –qu’Allah l’agrée) qui a dit : « Celui qui proclame l’unicité il a apostasié. »

Seïdina Ahmed Tidjani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) a répondu : « Le sens voulu par « apostasié » c’est-à-dire la sortie de la voie droite, car certes le Connaissant s’il proclame l’unicité tel que le conçoit les gens du commun il a alors apostasié, et le commun s’il proclame l’unicité des Connaissants il a apostasié, c’est-à-dire il a fait acte de mécréance, c’est dans ce sens que le Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) dit : « Nous les prophètes avons été ordonné de parler aux gens à la mesure de leur compréhension. » ou comme il a dit (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) en ce qui va dans ce sens. »

C’est pourquoi aussi Ibn ‘Arabi el Hatimi (qu’Allah l’agrée) avait spécifié et mis en garde en disant : « Ce genre de dévoilement (kashf) et de science (‘ilm) doit être caché à la plupart des créatures, en raison de ce qu’il y a en cela de trop élevé ; au-dessous de cela, il y a un abîme profond, où la chute est beaucoup à craindre. En effet, si quelqu’un qui ne possède pas la connaissance des réalités propres des choses (haqâ’iq) et ignore les subtilités spirituelles (raqâ’iq), en abordant cet ordre de doctrine contemplative, tombe sur quelque propos émanant d’un être qui a possédé effectivement une telle connaissance, alors que lui-même n’en a jamais eu quelque expérience directe il pourrait s’autoriser à dire lui aussi : « Je suis Celui que j’aime, Celui que j’aime est moi ». C’est pour cette raison que nous voilons et scellons ce genre d’enseignement.

Hasan al-Basrî – qu’Allâh lui fasse miséricorde! – (qui donnait régulièrement un enseignement public), lorsqu’il voulait parler de ces mystères qui ne doivent pas se trouver sur le chemin de ceux qui n’en sont pas dignes, appelait à part Farqad as-Sabakhî et Mâlik Ibn Dinâr, ainsi que les autres présents d’entre les gens du “goût” initiatique (ahlu-dhawq), et fermant la porte aux autres, traitait de ces matières en séance intime. S’il n’y avait pas eu une nécessité d’observer le secret, il n’aurait pas procédé de cette façon.

De même, Abû Hurayra – qu’Allah soit satisfait de lui! – a dit, selon ce que rapporte al-Bukhârî dans son Recueil de hadîths: “J’ai porté de la part du Prophète – qu’Allâh prie sur lui et le salue! – deux “sacs” : l’un, je l’ai dispensé entre vous tous; l’autre, si j’agissais de même, on me couperait cette gorge”. De son côté, Ibn ‘Abbâs, – qu’Allah soit satisfait de lui ! – en parlant du verset : “Allah qui a créé sept Voûtes Célestes et autant de Terres; le Commandement descend entre elles” (Cor. 65, 12), déclarait : « Si je vous disais quelle en est l’interprétation (ésotérique), vous me lapideriez en disant que je suis un infidèle ». D’autre part, ‘Alî ben Abî Tâlib – sur lui la paix! – frappait sa poitrine et disait: “Ah! En vérité, ici il y a une science immense ! Si seulement je trouvais des êtres qui puissent les porter!”

Enfin, l’Envoyé d’Allah – qu’Allah prie sur lui et le salue! – disait: « Abû Bakr vous est supérieur, non pas par le nombre des prières ou des jeûnes, mais par quelque chose qui est survenu dans sa poitrine », et il n’expliqua pas ce qu’était cette chose, mais se tut là-dessus. Toute science ne doit pas être expliquée par celui qui la possède, et le Prophète – qu’Allah prie sur lui et le salue -disait: « Parlez aux hommes selon la capacité de leurs intelligences ».

De ce fait, quand quelqu’un trouve un livre traitant d’une science qu’il ignore et dont il n’a pas pris la voie, il ne doit pas s’en mêler, mais remettre le livre à ceux qui s’y entendent, sans se considérer tenu d’y croire ou de n’y pas croire, ou même d’en parler. « Tout porteur de science religieuse n’est pas nécessairement savant véritable » (hadîth). « Mais ils traitent de mensonge ce dont ils ne possèdent pas la science » (Cor. 10, 39). « Pourquoi disputez-vous au sujet de ce dont vous n’avez pas une science ? » (Cor. 3, 66). Ainsi, nous sommes instruits que les hommes sont blâmés quand ils parlent sur une chose sans avoir parcouru la voie qui y mène. » Fin de citation

L’Imam ‘Abd al-Wahhab al-Cha’rani al-Hanafi a dit dans al-Tabaqat al-koubra : « La voie des Soufis est basée sur le Coran et la Sunna et elle est basée sur la vie en conformité avec la morale des Prophètes et des Purifiés. Elle ne doit pas être blâmée à moins qu’elle viole une déclaration explicite du Coran, de la Sunna ou du consensus des savants. Si elle ne contredit pas l’une de ces sources, le plus que l’on peut dire est qu’elle est une compréhension qui a été offerte au Musulman, alors laissez quiconque souhaite, s’y embarquer et quiconque ne veut pas, s’en abstenir, cela étant vrai autant pour les travaux comme pour la compréhension. Ainsi, aucun prétexte n’existe pour la condamner sauf pour quelqu’un qui a une mauvaise opinion des autres ou interprète comme ostentation ce qu’ils font, ce qui est interdit.

Quiconque examine minutieusement les branches de la connaissance des Gens d’Allah Le Très-Haut, trouvera qu’aucun d’eux ne va au-delà de la Loi Sacrée. Comment peuvent-ils aller au-delà de la Loi Sacrée alors que c’est la loi qui relie les Soufis à Allah à tout moment !? Au contraire, la raison des doutes de quelqu’un qui n’est pas familier avec la voie des Soufis, qui est l’essence même de la Loi Sacrée, est que cette personne n’a pas profondément maîtrisé la connaissance de la Loi. Voilà pourquoi Jounayd (qu’Allah Le Très-Haut lui fasse miséricorde) dit : « Cette connaissance qui est la nôtre est basée sur le Coran et la Sunna, » en réponse à ses contemporains et autres qui imaginent qu’elle est en dehors des limites du Coran et de la Sunna ». Fin de citation

Par conséquent, c’est dans ce cadre que l’on doit comprendre le lien entre la science de la Chari’a et la science de la Haqiqa qui ne s’oppose pas dans la réalité.

Seïdina Ahmed Tidjani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) a encore clarifié ce point lorsqu’on lui demanda : « Que faire prévaloir si le dévoilement authentique est en désaccord avec l’énoncé clair ? »

Il répondit : « Sache que l’énoncé clair et le dévoilement authentique proviennent tout deux du Seigneur, et ils ne peuvent être en désaccord ni dans la substance ni dans la conclusion, car ils ne sont qu’une seule et même chose provenant d’une seule et même source. En effet, l’énoncé clair est survenu en la personne du Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) que ce soit par le hadith ou le Qoran. Quant au dévoilement authentique, il provient aussi de Son Seigneur par le biais des effusions de la Réalité Mohammadienne. Pour tous les deux, il (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) sert d’intermédiaire dans la transmission et tous les deux proviennent d’Allah, c’est pour cette raison que nous avons déclaré qu’ils ne peuvent être en désaccord l’un par rapport à l’autre. Le dévoilement authentique ne guide qu’en direction de ce vers quoi guide l’énoncé authentique dans ce qu’il autorise ou menace, ou garantit.

Ainsi parmi les états du détenteur du dévoilement c’est que lorsqu’il veut connaître le statut juridique attribué à l’origine de n’importe quel problème, s’il le voit en lumière ou revêtu de lumière ou entouré de lumière alors cela indique que c’est réclamé par la Loi soit par le statut de devoir (Wajib) soit par celui de méritoire (Mandoub). Par contre s’il constate qu’il est fait de ténèbre ou revêtu de ténèbre ou entouré de ténèbre alors c’est que la Loi réclame de le délaisser soit par le statut d’illicite (Haram) ou celui de détestable (Makrouh). Enfin si par son dévoilement il constate que ne survient de lui ni lumière, ni ténèbre cela indique que c’est permis (Moubah) et qu’il n’est réclamé ni de l’accomplir ni de le délaisser en lui-même. Par contre, le statut de permis (Moubah) peut changer en celui de devoir ou d’interdiction à des moments occasionnels, si son accomplissement peut conduire à ce qui est illicite ou permettre d’acquérir ce qui est ordonné ou recommandé, sinon il reste dans son statut de permis… »

Recherche et traduction par la Zaouiya Tidjaniya El Koubra d’Europe