Question-réponse 74

Selon la doctrine Soufi de l’unité de l’Existence, Allah est l’Essence de toute chose et rien n’existe à par lui. Dans ce cas l’alcool et tous les interdits ne sont rien d’autres que lui. Ceux qui ont réalisés cela sont ils encore sujets aux interdictions ?

REPONSE

Concernant la conception de l’Unité de l’Existence voici quelques explications à ce sujet, mais surtout il ne faut pas se hasarder à aborder ce thème sans avoir une base solide au niveau de la croyance (‘Aqida) et des subtilités du langage Soufi, car on risque de se tromper dans l’interprétation de cette Réalité telle par exemple votre question : « Allah est l’Essence de toute chose et rien n’existe à par lui. L’alcool et tous les interdits ne sont rien d’autres que lui. Ceux qui ont réalisés cela sont ils encore sujets aux interdictions ? » Cela ne peut en aucun cas être interpréter de cette façon et personne n’est affranchi de la Chari’a sinon le premier qui l’eusse été serait le Prophète (que la prière et la paix d’Allah soient sur lui) donc le commentaire :

La signification de cette doctrine c’est qu’en dehors de Dieu nulle créature ne peut exister par elle-même, toutes tirent la subsistance de leur existence d’ALLAH qui gère les cieux et la terre et ce qu’il y a en eux.

Celui qui n’existe pas par lui-même, lorsqu’il se trouve dans un cadre qui semble lui conférer une existence autonome, semble alors exister par lui-même. Là se manifeste une grande confusion entre l’existant (celui qui croit exister) et Celui qui est à la source de l’existence. Il est indispensable de faire la distinction entre Celui qui existe en vérité et les créatures dont leur existence est liée à l’Existence de Dieu.

L’existence de l’Essence Divine, ou en d’autres termes on peut affirmer que l’existence de Dieu est unique et tout ce qui est en dehors de Lui voit son existence liée à Lui sans être indépendamment existant. On peut affirmer que l’existence des créatures est une existence qui est liée à celle de Dieu et qu’elles n’existent pas réellement, car la réelle existence est celle qui émane de l’Essence d’une manière indépendante.

Cette doctrine n’est que la réalisation pure de la formule d’attestation (Chahada) et aussi de la Sourate Ikhlas :« Dis : Il est Dieu, Unique » (Sourate 112 La Foi pure, verset 1)

Et le verset : « C’est Lui le Premier et le Dernier, l’Apparent et le Caché, et Il est Omniscient » (Sourate 57 Le fer, verset 3)

L’erreur d’interprétation naît du fait de vouloir comprendre et définir par le seul raisonnement humain sur ce qu’est l’essence même de cette Existence Divine ainsi ceux qui assimilent cela à la même présence que les créatures et ce qu’ils en perçoivent, ils en viennent alors au même conclusion que vous citez « l’alcool et tous les interdits ne sont rien d’autres que lui. » Or cette Existence n’a pas d’équivalence, car « rien ne Lui est semblable », elle transcende toutes les formes de perceptions, de compréhensions, de connaissances, et donc le Divin n’est concerné ni par la fusion avec la créature, ni par la séparation d’avec elle, Il n’est point la somme de toutes les choses existantes, Il est l’Unité Absolue qui exclut non seulement l’addition, mais aussi la division, tout le reste n’étant qu’illusion.

Ainsi, en ne prenant que l’exemple de l’interaction de la matière entre elle, on constate que les ondes de lumière permettent de distinguer toute matière visible à l’œil nu, de voir couleur et forme, par la réflexion de ces ondes sur l’objet en question, sans pour autant être associé à celui-ci, si par exemple les ondes réfléchissent de la boue alors ce n’est pas pour autant que ces ondes sortent souillées par ce reflet tout en sachant pourtant que sans cette réverbération cette boue ne peut être vue, il y a bien eu interaction d’une matière sur une autre. Nous parlons ici de deux matières créées (les ondes lumineuses et la boue) alors qu’à la Présence Divine rien n’est semblable.

En fait la perception de cette réalité n’est accessible que par le biais de la Connaissance (Ma’rifa) qui est la plus haute des sciences, on interrogea Djunaïd (qu’Allah l’agrée) sur la Connaissance, il dit :

« C’est l’existence de ton ignorance, lorsque paraît la science (c’est-à-dire la science d’Allah) »

« Expliquez-vous davantage » lui dit-on.

Il répondit : « Allah est alors le Connaissant et le Connu. Plus on avance dans les degrés de la Proximité d’Allah et plus les traces de la grandeur Divine deviennent manifestes (pour le Wali), plus aussi il acquiert la science de l’ignorance, et plus il augmente dans la connaissance de son propre néant. L’ébahissement s’accroît d’un nouvel ébahissement, un cri s’élève du fond de la nature du Connaissant qui dit : « Mon Seigneur rends-moi toujours de plus en plus stupéfait en Toi. » »

De même on demanda à Dhou-l-noun al Misri (qu’Allah l’agrée), célèbre Soufi et grand Connaissant : « Comment as-tu connu Ton Seigneur ? »

Il répondit : « J’ai connu mon Seigneur par mon Seigneur. N’était-ce mon Seigneur je n’aurais pas connu mon Seigneur. »

Ici il faut mettre l’accent sur le terme « réalisation », car il constitue un aspect capital de la Connaissance d’Allah et que sans « réalisation » il ne peut y avoir de connaissance véritable. Aussi pour mieux comprendre prenons un exemple :

Une personne ignorante de ce qu’est le pain désire le connaître, ainsi que son goût, cherchant à calmer sa faim avec. Or il prend un livre traitant sur le pain, sa diversité dans sa composition, ses bienfaits, ses caractéristiques, son goût. Même si cette personne apprend ce livre par cœur sa faim ne se calmera pas pour autant et il ne sera pas plus renseigné sur son goût, en fait il ne se fera qu’une idée et vivra donc dans l’apparence de ce qu’est le pain sans pourtant le connaître réellement. Mais par contre si cette même personne prend un morceau de pain, le met dans sa bouche, le mâche et l’avale, alors à ce moment-là seulement sa faim se calmera, et par le fait d’avoir goûté (Dhawq) il sait ce qu’est le pain, on dit alors qu’il a réalisé ce qu’est le pain.

Ainsi dire qu’Allah est unique, qu’Il n’a pas d’associer et réciter par cœur les plus beaux noms d’Allah ou les traités sur l’Unicité (Tawhid) ne suffisent pas à dire, comme le croient certains, que l’on connaît réellement Allah. Non, il faut pour cela goûter par le biais d’un cœur purifié et donc « réaliser ».

Si une personne n’a pas goûté et malgré tout ce qu’elle peut dire ou réciter, elle ne vivra que dans l’apparence, et tant qu’elle sera dans l’apparence elle peut être sujette à l’erreur, l’égarement et peut interpréter faussement comme ceux qui condamnent la doctrine de l‘Unité de l’Existence (Wahdat El Woujoud) en l’assimilant à la doctrine professée dans l’hindouisme. Cette comparaison est aussi fausse que celle que ferait quelqu’un étant ignorant de l’enseignement de l’Islam et qui, en voyant les musulmans se prosterner devant la Ka’ba, tournant autour d’elle, embrassant et essuyant religieusement sa pierre noire, dirait que ces gens adorent cet édifice (la Ka’ba) comme l’adoration idolâtre d’un hindou avec ses idoles alors que le musulman sait très bien que tel n’est pas le cas.

En effet, la conception hindouiste de l’unité de l’existence se base sur le fait que le tout est une partie de l’Un et que l’existence provient d’un esprit lumineux qui a créé les mondes en lui et à partir de lui. C’est comme si on prend un morceau de pâte et qu’avec on fait un arbre, puis on détruit cette forme et on forme après un homme, puis on détruit cette forme et on forme un pain jusqu’à revenir à sa forme originelle. Cette croyance de l’Unité d’Existence telle que professée par les hindoues est unanimement considérée comme fausse par l’ensemble des musulmans qu’ils soient parmi les pieux ancêtres ou parmi ceux qui leur ont succédé, qu’ils soient parmi les juristes, les maîtres en hadith, les Soufi, les théologiens, les récitateur ou les exégètes.

Cette conception implique que l’Essence du Créateur soit soumise aux contingences et aux changements. Or ceci est l’attribut des créatures qui est impossible pour la perfection du Créateur qui est sans semblable. Il fait l’unanimité dans la croyance des musulmans qu’il n’y a rien d’autre que Lui dans Son Essence et Son Essence n’est pas dans autrui, Il n’est pas soumis aux contingences et aux accidents, Il n’est pas une substance et les substances ne s’incarnent pas en Lui, Il n’est pas un accident et les accidents ne s’incarnent pas en Lui. S’il est vrai que l’on peut dire d’une personne qui se reflète dans un miroir que cela se fait sans rien diminuer à sa propre personne et sans besoin de diviser une partie de lui-même, alors que dire de Celui qui est au-dessus de tout cela et dont la transcendance est affranchie de toute division ou addition, fusion ou séparation.

Ainsi la doctrine de l’Unité de l’Existence tel que le conçoit et l’ont goûté les maîtres Soufi n’est pas d’affirmer que les choses existantes sont une partie de Lui ou dissocié de Lui -Glorifié, mais que les choses existantes dépendent entièrement de Lui. Il est Unique et Parfait dans Ses Attributs et Ses Noms et Il n’a aucun associé en cela, ainsi Il est unique dans son Attribut de la vue qui est l’Attribut de la Réalité Absolue alors que la vue des créatures est une illusion qui est limitée, imparfaite et différente de l’Attribut de la Réalité Absolue, dépendant entièrement de Lui –Glorifié. De même pour Son Attribut de l’ouïe qui est unique, et l’ouïe des créatures est une illusion qui est limitée, imparfaite et différente de l’Attribut de la Réalité Absolue, dépendant entièrement de Lui –Glorifié. Et il en est ainsi pour l’Attribut de la Science, pour la Parole et l’Existence. Son Existence est la Réalité Absolue tandis que l’existence des créatures est une illusion qui est limitée, imparfaite et différente de la Réalité Absolue, dépendant entièrement de Son Existence à Lui –Glorifié- qui les fait exister.

Telle est la conception de l’Unité de l’Existence auprès des maîtres des gens de la voie et point autre chose. Elle ne fait qu’affirmer la Transcendance et l’Immanence de l’Essence Divine et ne l’altère en rien, bien au contraire elle en témoigne dans la perfection, et tel est la croyance sur l’Unicité Divine qui est l’apanage des Connaissants et par lesquelles sont venus les prophètes et les messagers (sur eux tous la prière et la paix d’Allah).

Recherche et traduction par la Zaouiya Tidjaniya El Koubra d’Europe